Il est essentiel de ne pas confondre un certain manque de régularité dans l’alimentation, une attention parfois excessive portée au corps, la place prise par les régimes dans notre vie à tous, et les maladies « troubles des comportements alimentaires ».
Outre les critères psychiatriques, cette maladie est déclarée comme telle quand :
En tant que maladie, le TCA se caractérise par des symptômes, qui peuvent, comme la fièvre par exemple, révéler un mal plus profond. Ils sont souvent associés à d’autres symptômes.
Les effets secondaires des TCA sont aujourd’hui bien identifiés, de même que les ravages de la compulsion.
1 – la restriction quantitative et qualitative : tout régime commence par ça.
On mange moins, et on supprime complètement certains aliments de son alimentation. Mais un régime n’a qu’un temps, et il est d’ailleurs généralement séquencé en phases : phase d’attaque, puis phase de perte de poids, puis stabilisation.
Quand la phase d’attaque se prolonge au-delà du raisonnable, l’alimentation se concentrant, pendant une période anormalement longue, sur quelques aliments, et toujours les mêmes, on doit s’alerter. De toute façon, toute perte de poids trop rapide et trop importante doit amener à consulter.
Qualitativement, certains aliments deviennent tabou. Le sucre, les graisses, le pain, le fromage, mais aussi, souvent, la viande. Le poisson et les légumes restent tolérés, voire surconsommés, mais progressivement les seuls aliments que va s’autoriser une anorexique sont les fruits (pas tous) et les yaourts nature maigres.
2 – Le comportement à table :
Il y a souvent triage alimentaire (la sauce est mise à part, la salade « épongée »), ou au contraire mélange de tous les aliments ; découpage des aliments en morceaux minuscules ; très grande lenteur à manger, un excès ou au contraire une absence de masticage.
Certains aliments ne peuvent littéralement pas être mangés, comme le chou, la tomate, la banane…ou tout autre aliment sur lequel le patient a projeté des angoisses. L’explication de ces évitements est obscure, car ils résultent d’une distorsion perceptive des aliments (donc sont irrationnels).
3 – Manger seul :
Parce que le rapport à la nourriture est de l’ordre du plaisir solitaire, manger « en public » est difficile voire impossible. L’anorexique peut à la limite manger seule un plateau qu’elle s’est soigneusement préparé, en repoussant le plus tard possible dans la soirée le moment où elle s’autorisera ce plaisir. L’objectif est de pouvoir s’endormir tout de suite après, pour à la fois rester sur un plaisir absolu et ne pas « éprouver » la digestion (punition de ce plaisir).
Les crises de boulimie ou les grignotages sont soigneusement cachés : en public, le sujet refusera la sucrerie qu’on lui propose, mangera peu à table. D’où l’incrédulité des proches qui ne comprennent pas « avec ce qu’il (elle) mange », qu’il (elle) puisse grossir. L’idée d’une injustice congénitale accréditant l’image de l’obèse victime est entretenue par l’obèse lui-même, soit qu’il sache bien ce qu’il mange en réalité, soit que la distorsion perceptive lui fasse croire à tort qu’il mange peu (attention : il s’agit évidemment là de personnes ne souffrant d’aucune pathologie du métabolisme, d’origine organique fonctionnelle).
4 – Le dérèglement des rythmes alimentaires :
Le rythme alimentaire est souvent déréglé par les nécessités de la vie étudiante ou professionnelle. Mais lorsque le trouble du comportement alimentaire s’installe, cette désorganisation est mise à profit pour précisément organiser la pathologie. On ne mange rien de toute la journée, pour faire (et/ou parce qu’on fait) de la boulimie le soir, à l’abri des regards. Ou tout simplement parce qu’on a la liberté de ne rien manger sans que personne ne soit là pour contrôler.
Retrouver un certain rythme alimentaire, ne serait-ce que pour retrouver une digestion qui permette de rétablir les repères faim-satiété, est un objectif majeur de la ré-éducation alimentaire entreprise dans les thérapies.
5 – Les sensations physiques éteintes : faim, digestion, satiété
Faim et satiété, qui servent de repères habituels pour prendre les repas, ne sont pas ressentis par la personne malade. Elles ne peuvent plus lui servir de baromètre, ce qui complique fortement l’établissement ou le rétablissement de rythmes alimentaires normaux.
A l’inverse, la digestion est sur-éprouvée, au point d’être intolérable pour beaucoup. D’où le recours aux laxatifs, vomissements, et toutes les stratégies ou comportements utilisés à la fois pour rester maigre, mais aussi pour ne pas éprouver le transit intestinal, associé à la prise de poids, donc intolérable. Dans la maladie TCA, les douleurs provoquées par ces méthodes ne sont rien comparées à la douleur psychique associée à l’ingestion, par le corps, de calories.
6 – La compulsion alimentaire :
Il s’agit d’un besoin irrépressible de manger certains aliments, besoin si impérieux qu’il ne souffre d’aucun détour. Il peut se manifester par crise (boulimie) ou sous forme de grignotage impossible à arrêter (hyperphagie, que certains auteurs comparent à l’alimentation fœtale, qui se fait de manière continue). Le sujet pourra interrompre une soirée, une réunion, pour satisfaire sa compulsion. Il pourra voler dans un magasin s’il n’a pas l’argent nécessaire sur lui. Celui qui n’a pas connu ce phénomène ne peut le soupçonner : c’est pourquoi il est facile au sujet de se cacher et de satisfaire sa pulsion sans que son entourage puisse imaginer l’état dans lequel peut le mettre le besoin immédiat de nourriture, et d’un aliment précis en particulier.
7 – Les comportements de purge (ou compensatoires) :
Pour peu qu’on y prête attention (mais il faut le rappeler : la victime de TCA met beaucoup d’énergie à cacher des comportements qui ne viennent pas spontanément à l’esprit de ses proches), le vomissement est assez facilement détectable : sorties de table en cours de repas, ou avant la fin pour aller aux toilettes ; odeurs (mais pas toujours) ; décalage entre ce qu’on voit manger la personne et sa silhouette ; visage un peu bouffi, yeux brillants, fatigue…
La question fondamentale est celle du déclenchement du soupçon par les proches : à partir de là, les vomissements seront vite détectés. Mais encore faut-il vouloir le voir… Les proches n’en ont pas toujours envie, tant s’imaginer la scène serait pénible.
Comme pour le régime, les laxatifs sont pris au départ pour maigrir. Comme pour le vomissement, il s’agit d’éviter la digestion, mais le processus s’emballe et devient partie intégrante du rapport à la nourriture. Se vider fait partie du « besoin » pathologique lié à la nourriture.
Très souvent, les proches ne perçoivent pas l’ampleur de la maladie, parce qu’il se développe discrètement. Il faut généralement des mois, parfois des années pour commencer à réaliser que le sujet a anormalement grossi ou maigri, même si ça peut sembler étonnant. Il faut se souvenir que mettre le mot « maladie » sur un trouble des comportements alimentaires n’est pas nécessairement plus facile que de reconnaître qu’un proche est alcoolique par exemple.
A l’inverse, l’inquiétude de certains parents est parfois exagérée : il est important de ne pas voir ses enfants plus malades qu’ils ne sont, pour ne pas donner à un symptôme une valeur dramatique en soi.
C’est parce que ce trouble est difficilement détectable qu’il peut donc s’installer sans que les proches s’en aperçoivent. Et une fois installé, il sera non seulement d’autant plus difficile à traiter, mais aura produit d’autant plus d’effets négatifs.
Les troubles obsessionnels compulsifs : comptage des calories, emplois du temps faits et refaits indéfiniment, ménage répété de manière irrationnelle, lavages répétitifs…
La rigidité du caractère : besoin d’excellence, besoin de contrôle sur le temps (l’incertitude ou l’imprévu sont insupportables), prudence financière qui peut faire penser à de l’avarice…
Une personnalité addictive, liée à un besoin de sensations fortes pour fuir les émotions. D’où une tendance à tout faire de manière excessive : fumer, boire de l’alcool, mais aussi travailler, faire du sport, acheter des vêtements…
Les scarifications et attaques du corps.
Les phobies : alimentaires mais aussi sociales (peur du regard des autres ; monde en « noir et blanc » ; grande dépréciation de l’estime de soi)
Les relations affectives en « tout ou rien ». La difficulté à gérer la distance avec l’autre aboutit à des relations fusionnelles (par angoisse d’abandon) ou au contraire radicalement et brusquement interrompues (angoisse de la dépendance).
1 – Physiques:
Digestifs dans l’anorexie, le système digestif n’est plus sollicité. Toute alimentation normale provoque douleurs abdominales, constipation ou diarrhée. Dans la boulimie avec vomissement, l’œsophage provoque des brûlures et les vomissements peuvent devenir incontrôlés. Dans l’hyperphagie, le système digestif, sur-sollicité, provoque des douleurs.
Aménorrhée pour cause d’IMC trop bas. L’aménorrhée peut être primaire (la patiente n’a jamais eu ses règles car l’anorexie l’a prise à la puberté) ou secondaire (la patiente a eu ses règles mais ne les a plus). Les règles sont parfois provoquées artificiellement par des médicaments, mais ce ne sont pas de « vraies » règles.
Problèmes dentaires et osseux liés aux carences alimentaires mais aussi, spécifiquement, aux vomissements. L’ostéoporose ainsi provoquée peut être irréversible.
2 – Psycho-physiologiques :
Cognitifs : en-deçà d’un certain IMC, des troubles cognitifs apparaissent, qui disparaissent une fois le sujet renutri. Il faut donc toujours faire bien attention à évaluer correctement l’état physiologique du sujet pour pouvoir évaluer son fonctionnement psychique.
Hyperactivité associée à une sorte d’apathie émotionnelle. Des chercheurs ont démontré que des souris dénutries devenaient hyperactives. L’exercice physique, au départ engagé dans le cadre du contrôle de poids, et du besoin d’expulser les émotions, devient progressivement objet d’addiction. Les problèmes musculaires, tendineux ou ligamentaires ne tardent alors pas à se produire.
En même temps, les émotions sont comme émoussées : le patient ou la patiente ne sourit plus, ne rit plus, ne pleure plus, sauf d’épuisement, notamment le matin.
Humeur : Fatigue, tristesse, irritabilité.
Sexualité : De plus en plus difficile, voire impossible, soit parce que le sujet en est psychologiquement incapable, soit parce qu’il en est physiquement incapable (douleurs, impuissance), soit encore parce que le partenaire ne peut plus.
3 – Sociaux :
Isolement social et affectif : les amis sont mis à distance involontairement (parce qu’ils supportent de moins en moins l’imprévisibilité des relations) ou volontairement (parce que leur présence empêche la réalisation des compulsions, ou à cause de leurs remarques, à table notamment). Restent les parents, qui sont souvent le dernier recours des sujets, alors même que le sujet aurait particulièrement besoin de prendre son autonomie.
Difficulté à travailler croissante : au départ hyper-exigeant envers lui-même, le sujet victime de TCA a de plus en plus de mal à délivrer ce qu’il attend de lui-même, en raison de l’énergie psychique que requiert une activité intellectuelle, alors que cette énergie est monopolisée par les obsessions alimentaires. Par ailleurs, s’il est dans un premier temps rendu euphorique par sa maîtrise, il ne tarde pas à subir les effets de la fatigue. Anorexie et boulimie-vomissements sont tout aussi néfastes sur ce plan.
1 – sur les relations avec les proches :
La compulsion a au moins trois effets particulièrement pervers : elle passe avant tout le reste, poussant le sujet à s’isoler ; elle rend le sujet agressif lorsqu’il est « en manque » ; elle infiltre les relations de mensonge, le sujet protégeant son addiction des immanquables reproches (donc désagréments, voire empêchements) que susciterait sa révélation.
Dans ces conditions, la cohabitation est difficile voire impossible : réfrigérateur dévalisé, nourriture cachée, odeurs de vomi… L’entourage supporte un temps, mais les relations deviennent rapidement insupportables et le sujet n’a d’autre « choix » que de vivre seul.
2 – sur les comptes bancaires :
Les sommes dépensées en nourriture sont importantes, voire démesurées, s’ajoutant souvent à d’autres achats compulsifs (vêtements par exemple). S’ensuit souvent l’endettement (plus ou moins important). Les ennuis judiciaires sont plus rares, le sujet mettant une grande énergie psychique à ne pas être pris (dans sa vie en général). A moins qu’il ne d’agisse de comportements à risque (ex : conduite en état d’ivresse) et que le sujet espère inconsciemment qu’on l’arrêtera sur une voie qu’il ne maîtrise plus.